"Les Alpes du soleil", c'est le titre qu'avait choisi Jean-Marie Morisset pour présenter les escalades et randonnées de la Méditerranée au Queyras, dans la mythique collection des "cent plus belles" dirigée par Gaston Rébuffat. Deux courts séjours dans le Mercantour, massif auquel il faisait la part belle, me donnent l'occasion de rendre hommage à ces deux grands guides: si leurs ouvrages sont aujourd'hui désuets, ils m'ont fait rêver dans ma jeunesse et demeurent une source d'information historique sur l'alpinisme.
Bien après quelques randos à ski à la fin du siècle dernier, mon premier passage en Mercantour pour l'escalade date d'il y a trois ans. Nous avions alors vite compris avec Lionel que dans ces Alpes là, si le soleil est radieux tous les matins d'été, les risques d'orages sont quasi quotidiens dès le début d'après-midi... Avec des marches d'approche plutôt longuettes, cela entrainait des levers à 5 heures et nous avions jeté l'éponge après 4 jours... Non sans nous être régalés, en particulier sur un bel enchainement d'arêtes Saint Robert-Gélas et dans la paroi jaune de La Cougourde:
Difficile de croire que deux grands alpinistes des années 30, premiers ascensionnistes de la face nord de l'Ailefroide, aient chuté ici. Lichen mouillé par l'orage? Bloc fendu par le gel ? Inattention ? Un rappel à l'ordre pour nous tous... et une nouvelle fois une pensée pour nos illustres prédécesseurs...
Pourtant, que la montagne est belle,
Comment peut-on s'imaginer,
en voyant un si bon rocher,
que Le Breton et Fourastier
y firent une chute mortelle...?
Il y a bientôt un an, le 2 octobre 2020, le soleil ne fut pas le seul à abandonner La Vésubie, La Roya et les vallées alentours. La providence fit de même: 500 mm de pluie à St Martin Vésubie, jusqu'à 630 côté italien, des dizaines de morts et des dégâts visibles pour longtemps encore... comme nous avons pu le constater le week-end dernier avec Charles.
Ici se désaltérait un agneau dans le courant d'une onde pure... mais nul loup cherchant aventure n'osera reprocher à la tempête Alex d'avoir troublé son breuvage, la raison du plus fort étant, hélas, toujours la meilleure !
Passé cette trace du désastre, rien n'a changé en haute montagne où l'on retrouve la quiétude de la faune, ...
... la sagesse immémoriale de la Cougourde auréolée de nuages... et mon bloc préféré pour quelques facéties sur le chemin d'approche...
Après une sympathique soirée et une bonne nuit dans un refuge accueillant et fort calme (seulement deux scientifiques venus étudier une faille aux lacs Bessons partagent notre gîte) , nous voici partis pour la plus renommée des voies de la Cougourde, l'éperon Demenge à la cime IV. Et c'est bien justifié: 400 m d'escalade semi équipée homogène en niveau (IV à V+, 2 à 5 goujons de 12 par longueur, sauf dans la première) et très variée (dièdres, dalles, traversées, quelques passages raides...), sur un gneiss compact mais parfois sculpté de magnifiques alvéoles...
A partir de la huitième longueur (ma préférée), on retrouve le fil de l'éperon par une superbe dalle sculptée digne des porphyres corses !
Décidés à moins marcher qu'il y a trois ans et conquis par la qualité du rocher, nous recouchons au refuge, beaucoup plus animé le samedi soir, et grimpons le dimanche à la Cime III par "la directissime" ouest: toujours peu de soleil en grimpant sur ce versant puisque lorsque notre planète se décide à y exposer sa face occidentale, les nuages s'interposent rapidement... Le niveau est un peu inférieur à celui de l'éperon Demenge mais les goujons un peu moins nombreux (2 ou 3 par longueur, 0 en L4). L'escalade est toujours aussi belle et variée avec dalles sculptées, fissures, dièdres et même un petit surplomb (bien rester sur le fil de l'éperon après R8 pour garder une escalade aérienne et soutenue). Nous poursuivons cette fois par la traversée des arêtes jusqu'à la Cime I, ce que je conseille si l'on est pas pressé par le temps. La veille, nous avions utilisé la descente devenue classique par le couloir entre les Cimes III et II, plus rapide et pratique par beau temps mais très délicate en cas d'orage... Il ne faut donc pas sous estimer la longueur des parcours et le risque météo à la vue du trompeur soleil matinal...