Suite à une rencontre extraordinaire, j'ai décidé d'utiliser le merveilleux texte d'Antoine de Saint Exupéry (en gras) en le modifiant quelque peu pour rendre compte ( mais aussi rendre conte... ) d'une superbe errance dans le Haut Verdon avec Patrick, de par les gorges de Saint Pierre, le petit Coyer, les lacs de Lignin et le grand Coyer...
Lorsque j'avais six ans, j'ai vu, une fois, une magnifique image, dans un livre sur la Montagne qui s'appelait "Histoires Vécues". J'ai alors beaucoup réfléchi sur les aventures de la montagne et, à mon tour, j'ai réussi, à force de volonté, à y tracer mon premier chemin.
J'ai montré mon chef d'œuvre aux grandes personnes et je leur ai demandé si mon chemin leur faisait peur. Elles m'ont répondu: "Pourquoi un petit tour ferait-il peur?
Mon chemin ne représentait pas un petit tour, il représentait une aventure qui avait pour dessein les rêves et la liberté.
Les grandes personnes m'ont conseillé de laisser de côté les desseins de rêves et de liberté, et de m'intéresser plutôt au travail et à l'argent. Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules et c'est fatigant, pour les enfants, de toujours leur donner des explications.
J'ai beaucoup vécu chez les grandes personnes. Quand j'en rencontrais une qui me paraissait un peu lucide, je faisais l'expérience sur elle de mon dessein. Je voulais savoir si elle était vraiment compréhensive. Mais toujours elle me répondait: "C'est une impasse".
Alors je ne lui parlais ni de liberté, ni de rêves, ni d'étoiles. Je me mettais à sa portée. Je lui parlais de bridge, d'argent, de politique et de libéralisme. Et la grande personne était bien contente de connaître un homme aussi raisonnable.1
1 Comme tant d'autres, elle ignorait que "La sagesse n'est pas dans la raison, mais dans l'amour. O délivrance! O liberté! Jusqu'où mon désir peut s'étendre, là j'irai."; André Gide dans "Les Nouvelles Nourritures".
J'ai ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement, jusqu'à une nuit dans la montagne où je me suis endormi à mille milles de toute terre habitée. J'étais bien plus isolé qu'un naufragé sur un radeau au milieu de l'océan. Alors vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drôle de petite voix m'a réveillé. Elle disait:
- S'il vous plaît... dessine-moi la Montagne!
-Hein!
-Dessine-moi la montagne...
J'ai sauté sur mes pieds comme si j'avais été frappé par la foudre. J'ai bien frotté mes yeux. J'ai bien regardé. Et j'ai vu un petit bonhomme tout à fait extraordinaire qui me considérait gravement. Voilà le meilleur portrait que, plus tard, j'ai réussi à faire de lui. Mais mon dessin, bien sûr, est beaucoup moins ravissant que le modèle.
Quand le mystère est trop impressionnant, on n'ose pas désobéir. Mais je me rappelai alors que j'avais surtout étudié la géographie, l'histoire, le calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme que je ne savais pas dessiner.
- ça ne fait rien, dessine moi la Montagne.
Alors j'ai dessiné. Il regarda attentivement, puis:
-Non! Celle-là est déjà très pelée. Fais en une autre. Je dessinai... Mon ami sourit gentiment, avec indulgence:
- Celle-là est trop érodée, je veux une montagne qui vive longtemps.
Alors faute de patience, comme j'avais hâte de commencer la descente, je sortis mon appareil photo. Et je lançai:
- ça c'est la boite. La montagne que tu veux est dedans.
Mais je fus bien surpris de voir s'illuminer le visage de mon jeune juge:
- C'est tout à fait comme ça que je la voulais !
Il me demanda avec brusquerie, sans préambule:
- Un chamois, il mange aussi les fleurs ?
- Un chamois mange tout ce qu'il rencontre.
- Les fleurs sont faibles. Elles sont naïves. Elles se rassurent comme elles peuvent.
- Si quelqu'un aime une fleur qui n'existe qu'à un seul exemplaire dans les millions d'étoiles, ça suffit pour qu'il soit heureux quand il les regarde. Il se dit: "Ma fleur est là quelque part..." Mais si le chamois mange la fleur, c'est pour lui comme si, brusquement, toutes les étoiles s'éteignaient !
J'appris bien vite à mieux connaître cette fleur. Elle choisissait avec soin ses couleurs. Elle s'habillait lentement, elle ajustait un à un ses pétales. Elle ne voulait apparaître que dans le plein rayonnement de sa beauté. Eh! oui. Elle était très coquette!
-Ah! Je me réveille à peine... Je vous demande pardon... Je suis encore toute décoiffée...
Le Petit Prince, alors, ne put contenir son admiration:
- Que vous êtes belle!
Non, je n'ai toujours pas de téléobjectif, mais cette maman surprise au détour d'un rocher est restée à 2 mètres un bon moment sans savoir que faire...
Pour vous qui aimez aussi le Petit Prince, comme pour moi, rien de l'univers n'est semblable si quelque part, on ne sait où, un chamois que nous ne connaissons pas a, oui ou non, mangé une anémone. Et aucune grande personne ne comprendra jamais que ça a tellement d'importance!