Canaille ?
"C'est un roc !... c'est un pic!... c'est un cap !
Que dis-je, c'est un cap ?... C'est une péninsule !
(...) Aucun vent ne peut, nez magistral,
T'enrhumer tout entier, excepté le mistral !"
Edmond Rostand pouvait-il ignorer cette monstrueuse protubérance qui ferme la baie de Cassis à l'Est alors que les vers de Cyrano lui siéent si bien ?
On ne peut voir passer un pareil nasigère
Sans s'écrier "Oh! non, vraiment, il exagère!"
Durant les trois ans passés d'escalade au compte goutte, c'est sans conteste sur ce Cap Canaille que j'ai le plus grimpé et que je me suis fait le plus plaisir.
Il faut bien avouer qu'avec la variété des roches, les trésors géologiques, les ambiances chamarrées du maritime au dolomitique et l'escalade souvent ludique dans des profils déversants entaillés de conques et tunnels, on a vite fait de s'encanailler !
Je vais donc m'efforcer de revenir sur 10 ans de vadrouille dans cet univers surprenant, avec quelques images sublimées par le texte de Rostand... (Merci les amis de m'avoir si souvent photographié)
Gardez-vous, votre tête entraînée par ce poids, de tomber en avant sur le sol !
(...) Où suis-je? Soyez franc !
Ne me déguisez rien ! En quel lieu, dans quel site,
Viens-je de choir, Monsieur, comme un aérolithe?
Morbleu !... Tout en cheyant je n'ai pu faire choix
De mon point d'arrivée, et j'ignore où je chois !
Est-ce dans une lune ou bien dans une terre,
Que vient de m'entraîner le poids de mon postère?
Vous avez mal placé la fente de ces miches :
Au milieu la césure, entre les hémistiches !
A ce palais de croûte, il faut, vous, mettre un toit...
Sur rien !... Je vais lui dire: Allez ! Partez sans bride!
Improvisez. Parlez d'amour. Soyez splendide !
De quel vertige es tu frappé? Viens vite apprendre.
Je sais tout ce qu'il faut. Prépare ta mémoire.
Voici une occasion de se couvrir de gloire.
"A la fin de l'envoi, je touche !..." Que c'est beau !
- Qu'avez-vous à la main? - Rien. Une estafilade.
- Courûtes-vous quelque péril? - Aucun péril.
- Je crois que vous mentez ! - Mon nez remuerait-il?
Il faudrait que ce fût pour un mensonge énorme !
- Parfois, la main en sang de quelque grimpement,
Vous accouriez ! Alors, jouant à la maman,
Je disais d'une voie qui tachait d'être dure :
"Qu'est-ce que c'est encor que cette égratignure?"
Oh ! C'est trop fort ! Et celle-ci ! Non ! Montrez-la !
Hein? A votre âge encor ! Où t'es-tu fait cela?
- En jouant, du côté de "Rivière de galets"
Grimper par ruse au lieu de s'élever par force?
Exécuter des tours de souplesse dorsale?
Non, merci.
Mais... chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l'oeil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
A tel voyage, auquel on pense, dans la lune !
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d'en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Que dites-vous?... C'est inutile?... Je le sais !
Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès !
Non ! Non ! C'est bien plus beau lorsque c'est inutile !
Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul !
Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants.
De cette gymnastique, ils ont pris l'habitude !
Je vous parle, en effet, d'une vraie altitude !
Certes, et vous me tueriez si de cette hauteur
Vous me laissiez tomber un mot dur sur le coeur !
Moi je ne suis qu'une ombre, et vous qu'une clarté !
Mon cher, si tu savais comme l'on marche mieux
Sous la pistolétade excitante des yeux !
Comme, sur les pourpoints, font d'amusantes taches
Le fiel des envieux et la bave des lâches !
Et superbe de grâce, à la fois, et de morgue,
L'ergot tendu sous la dentelle en tuyau d'orgue.
Quand soudain me montrant ces deux grands escogriffes
Habiles à gratter les cordes de leurs griffes
Jusqu'à ce que Phoebus recommence son orbe,
J'ai donc sur mes talons ces joueurs de théorbe
J'ai tellement pris pour clarté ta chevelure
Que, comme lorsqu'on a trop fixé le soleil,
On voit sur toute chose ensuite un rond vermeil,
Sur tout, quand j'ai quitté les feux dont tu m'inondes,
Mon regard ébloui pose des taches blondes !
Et je voudrais mourir, un soir, sous un ciel rose
En faisant un bon mot pour une belle cause !
Pleurer? Oui... Parce que ... mourir n'est pas terrible
Mais... ne plus la revoir jamais... voilà l'horrible !
Ah ! Je vous reconnais, tous mes vieux ennemis !
Le Mensonge? Tiens, tiens ! Ha, ha ! les Compromis,
Les Préjugés, les Lâchetés !... Que je pactise?
Jamais, jamais ! Ah ! te voilà, toi, la Sottise !
N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats !
Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose !
Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J'emporte malgré vous, et c'est... c'est... mon panache.